Confusion des langues à Moscou

29/03/1947

La Conférence qui se tient actuellement à Moscou n'aura-t-elle comme conséquence que de faire percevoir de façon plus frappante les désaccords ?

On le croirait à examiner les résultats assez piteux du Comité de Coordination.

Même la demande que nous avions présenté pour obtenir que l'émigration allemande soit autorisée a été rejetée catégoriquement par les Russes.

Je me demande si, dans l'Histoire, on ne baptisera pas cette session de « Conférence des Non ».

évidemment, on apprenait en même temps une heureuse nouvelle. Des rencontres des experts français et anglais ont lieu depuis quelques jours à Moscou, à propos du charbon. Pronostiquer sur l'issue de ces pourparlers est impossible.

Sans doute ces rencontres sont-elles un résultat de la résolution montrée par M. Georges Bidault sur cette question du charbon. Mais dans l'ensemble, l'atmosphère à l'hôtel Moskowa réclame des éclaircissements, car, jusqu'à présent, personne ne parle le même langage.

Ces derniers jours, l'affaire des biens allemands vient encore de l'illustrer.

On se rappelle que les Trois avaient décidé à Potsdam que tous les biens allemands à l'étranger, dans la Bulgarie, la Finlande, la Hongrie, la Roumanie et la partie orientale de l'Autriche reviendraient aux Russes. Les Anglo-Saxons devaient bénéficier des biens allemands se trouvant dans d'autres pays. Toutefois, avec une étrange imprudence, les Trois n'avaient pas déterminé ce qu'ils entendaient par « biens allemands ».

Du coup, l'URSS adopta une interprétation extrêmement stricte de ce terme, considérant comme tels tout ce qui avait, à un moment donné, appartenu aux Allemands, y compris ce que ceux-ci avaient spolié à des Autrichiens où à des ressortissants alliés.

Voici deux ans que cette absence de définition entraine des obstinations et même des heurts. Plus récemment, c'est faute de s'entendre sur ce point que les adjoints réunis à Londres ont fait suspendre la préparation du traité autrichien.

Aussi M. Georges Bidault vient-il de proposer quelques directives qui permettraient aux adjoints de reprendre l'étude du problème.

M. Molotov ayant maintenu l'interprétation que nous venons d'indiquer, nous retrouvons la confusion des langues. En effet, pour les Anglais, les Américains et les Français, la question des biens allemands en Autriche est une question d'ordre moral et de justice.

On ne peut admettre que les Autrichiens ou les Alliés soient privés de leur avoir sous prétexte qu'à un moment donné les Allemands les ont spoliés. Pour le réalisme foncier des Russes, - réalisme terre-à-terre que j'apprends à connaître, - l'affaire ne se présente pas sous cet angle. Pour eux, il s'agit surtout de savoir si, avec les biens allemands situés dans les pays qu'ils se sont réservés, Anglais et  Américains ne touchent pas une part de gâteau plus forte qu'eux.

En un mot, et la chose ressort assez clairement d'un article paru dans la presse soviétique, il s'agit de savoir si les Anglo-Saxons ne veulent pas toucher ainsi des réparations plus substantielles que l'URSS et, pour qu'il n'en soit pas ainsi, on donne au texte imprécis de Potsdam un sens qui permet de prendre tout ce qu'on peut.

Et aussitôt l'intransigeance des Russes s'explique, si elle ne se justifie peut-être pas. L'affaire des biens allemands en Autriche est à leurs yeux un aspect de l'affaire plus vaste des réparations, sur laquelle ils apparaissent de plus en plus axés.

La Conférence se résume désormais ainsi : les exportations allemandes serviront-elle à payer des importations (thèse anglaise et américaine) ou des réparations (thèse russe) ?

De la réponse qu'on y donnera, du compromis qu'on découvrira, dépend l'échec ou le succès de la session de Moscou. C'est dire toute l'incertitude dans laquelle cette dernière demeure encore.